Publié le 25/01/2022 Temps de lecture : 9 min
C’est une personnalité que les amoureux de l’Eure et de l’agriculture connaissent forcément, Antoine Thibault plus connu sur les réseaux sociaux comme AgriSkippy. Installé entre Rugles et Verneuil d’Avre et d’Iton, il partage son quotidien sur twitter, youtube et instagram. Cet ambassadeur de l’agriculture normande présente l’envers du décor, la technicité du métier d’exploitant laitier, le bonheur de vivre à la campagne mais aussi les difficultés du métier. Rencontre avec cet amoureux de la terre, éleveur laitier et youtubeur à ses heures perdues et comme il le dit lui-même : soyons fous !
Vous racontez le quotidien du monde rural dans l’Eure, pourquoi avoir débuté en vidéo ?
J’ai choisi de partager mon métier car il y a une réelle méconnaissance de l’agriculture et du métier d’exploitant agricole. Il y a plusieurs dizaines d’années de cela tout le monde avait dans son entourage un papy, un tonton agriculteur qui maintenait un lien direct avec la ferme. Ce lien s’est distendu au fil des générations. Pour remettre un discours de vérité dans tout ce qui se raconte sur l’agriculture, j’ai décidé d’être transparent sur mon métier et de la partager.
De le partager dans ses réussites mais aussi dans ses échecs. L’idée c’est de montrer que l’élevage et l’agriculture en général sont des métiers qui sont très techniques, très pointus. J’ai rencontré une vraie curiosité de la part des internautes. Cette communauté s’est agrandie et c’est un vrai plaisir d’interagir.
En quoi consiste le métier d’éleveur ?
Il y a d’abord toute une partie agronomique. Il s’agit de faire pousser dans les champs la nourriture que va manger mes vaches. C’est gérer tout d’abord les prairies et les récoltes. Faire pâturer les bêtes au bon moment. Parallèlement à cela, c’est élever les veaux pour qu’ils deviennent des vaches et traire ces vaches, les soigner et les nourrir chaque jour.
Vous avez grandi dans un hameau familial, pourquoi avoir fait le choix de rester dans l’Eure ?
La plupart du temps, un agriculteur s’installe à la suite de ses parents. J’ai repris la ferme familiale il y a vingt ans maintenant. On ne choisit pas spécialement l’endroit où l’on va s’installer parce qu’en dehors du cadre familial c’est beaucoup plus compliqué de s’installer.
J’ai fait le vrai choix d’être agriculteur par rapport à d’autres métiers auxquels j’avais accès parce que j’ai un attachement vraiment particulier à ce coin de l’Eure. C’est le lieu où j’ai grandi. Il est chargé d’Histoire, sur l’emplacement d’un ancien château qui n’existe plus mais avec des allées et un pigeonnier qui ont plusieurs siècles. Je suis vraiment très attaché à cet endroit où j’ai grandi, où mes enfants ont grandi…
L’agriculture était un vrai choix. Par rapport à l’indépendance que cela apporte, parce que c’est un métier où l’on est son propre patron. On gère sa journée un petit comme on le veut ou en fonction des contraintes du jour. J’étais aussi plutôt allergique au fait d’avoir un patron !
Vous revendiquez le plaisir d’être éleveur. C’est quoi pour vous l’agriculture en Normandie ?
C’est l’une des plus diverses de France ! On produit en Normandie toutes les formes d’élevages possibles. Des poules, des vaches, des cochons, des moutons, on y produit même des escargots ! C’est aussi une zone de grandes cultures. La Normandie est très diverse. Nous avons des espaces très vallonnés où l’on ne peut faire pousser que de l’herbe. Il y a des plaines comme le Plateau du Neubourg qui est un endroit idéal pour faire pousser des céréales, du lin (aussi surnommé or bleu de Normandie) et autres. D’ailleurs la Normandie est la première région productrice de Lin au monde.
Cela nous donne une agriculture extrêmement diverse par rapport à d’autres régions de France qui sont souvent plus spécialisées. C’est cela qui est vraiment drôle finalement. On peut faire quelques kilomètres, passer de Pont-Audemer la cité normande vénitienne, au Neubourg et avoir des paysages qui sont radicalement différents.
Votre cheptel est majoritairement composé de vaches Holstein, pourquoi ce choix ?
La vache traditionnelle en Normandie est « la normande ». Nous avons aujourd’hui des vaches qui sont plus productives comme la Holstein. La « normande » a une saveur de lait qui donne toute sa saveur au Camembert et aux fromages AOP normands (Pont-l’Evêque, Livarot et Neufchâtel). Lorsque l’on fait du lait pour ces fromages, la vache normande est obligatoire. Pour des productions plus classiques, la Holstein est un peu la « championne » de la production laitière. J’aime beaucoup travailler avec cette race de vache qui est exigeante mais qui le rend bien.
A quoi sert le lait majoritairement en Normandie ?
Le lait en Normandie sert énormément à faire du fromage. Le camembert, qu’il soit AOP ou hors AOP est une grosse destination du lait normand. Mon lait est par exemple transformé dans l’Orne. Le lait normand sert assez peu à faire du lait en bouteille car nous ne possédons pas de grande usine. Ce sont donc principalement des fromageries. Je pense par exemple à l’usine Boursin qui est basée dans l’Eure. La Normandie c’est une terre de fromage !
Quel regard portez-vous sur la plateforme « C’est fait dans l’Eure » ?
C’est une initiative très bonne pour les agriculteurs. C’est super de soutenir la vente directe. Cela rapproche le public et le monde agricole. C’est super chouette de réunir le consommateur et le producteur local par cette action (découvrir le site cestfaitdansleure.fr)
Avec plus de 80% de terres non urbanisées l’Eure est un département fier d’être rural. La notion de terroir est-elle importante pour vous ?
Les grandes étendues et les grandes forêts de l’Eure sont idéales pour les promenades et la randonnée. Ce que j’aime beaucoup c’est que le département de l’Eure est très proche de Paris. Nous y sommes en 1h – 1h30 mais on peut être complètement isoler du monde et se déconnecter. On peut vraiment se retrouver au milieu de la nature, c’est vraiment appréciable.
Le terroir normand c’est quoi pour vous finalement ?
Le terroir normand est vraiment très diversifié, particulièrement dans l’Eure. Les forêts, les bois et les vallées offrent une variété de paysages. C’est ce qui en fait sa richesse. Dans les petits villages de l’Eure, on retrouve encore de vieilles bâtisses, des maisons à colombages. C’est un département qui est très riche architecturalement.
La gestion de la flore et la préservation de l’environnement sont au cœur de votre métier. Comme abordez-vous ces enjeux dans votre activité ?
Je ne me considère pas comme un exploiteur de mes terres. Mes terres sont héritées de générations précédentes et elles seront cultivées après moi. Il faut préserver à tout prix leurs fonctions nourricières.J’ai la chance de vivre dans l’Eure. Un endroit où il y a énormément de rivières et de bosquets. C’est un endroit de France où la biodiversité est la plus importante : c’est ce que l’on appelle le bocage normand. Nous, agriculteurs, en tant qu’acteurs des territoires jouons un rôle et avons une incidence sur cette biodiversité. C’est à nous, par nos pratiques, d’entretenir cette biodiversité. Je suis très satisfait car avec mes pratiques j’arrive à nourrir chaque année 3 000 personnes. C’est une vraie fierté. Je cohabite avec des espaces d’orchidées, des chevreuils, des lièvres, des lapins, des faisans. Je cohabite avec une faune et une flore qui est très riche. Mon action permet de concilier cela.
Quel regard portez-vous sur la nature dans l’Eure ?
Je suis très paysage ! J’ai la chance d’avoir un métier où je suis très souvent dehors, en contact avec la nature quotidiennement.
Vous postez d’ailleurs régulièrement des photos matinales de lever de soleil, c’est une source d’inspiration ?
Quand je me balade, j’aime prendre les paysages en photo. On n’a pas besoin de s’évader très loin pour trouver quelque chose de beau. Parfois, à seulement 100 mètres de chez soi dans l’Eure, un lever de soleil avec la rosée c’est quelque chose qui est magnifique. On n’a pas besoin d’aller à Bora-Bora pour trouver des choses magiques !
En se promenant sur les routes de l’Eure, on va trouver tel brouillard sur une vallée un matin qui va valoir le coup de s’arrêter et de l’immortaliser en quelques secondes. J’ai une communauté qui est très citadine. J’ai la chance de vivre dans un endroit où je vis en pleine nature et quelques fois pour les gens qui sont dans le métro, qui ouvrent leur téléphone et voient une photo d’un sous-bois, d’une allée, d’un lever de soleil etc. cela sera peut-être leur rayon de soleil. C’est dans cet esprit de partage que je poste des photos de l’Eure.
L’Eure compte de nombreux sites culturels et naturels qui se visitent. Avez-vous un coup de cœur à nous partager ?
Le Bec-Hellouin, plus beau village de France. Aller à l’abbaye du Bec-Hellouin est une chouette balade. Que cela soit le village qui est super mignon dans la vallée de la Risle qui est vraiment belle à toute heure de la journée, et le site de l’abbaye bénédictine qui est particulièrement apaisant. Notre arbre généalogique compterait même de lointains ancêtres issus de l’abbaye.
Vous habitez dans le sud de l’Eure, quels endroits conseilleriez-vous pour des visiteurs ?
Center Parcs, le premier de France d’ailleurs, c’est une chouette destination. La cité médiévale de Verneuil aussi qui a conservé ses ruelles anciennes et ses maisons à pan de bois. La ville de Verneuil d’Avre et d’Iton vaut le coup d’œil. Pour s’y balader, y manger, c’est une ville qui a gardé tout son charme. Le centre-ville est mignon et préservé.
Eglise de Verneuil d’Avre et d’Iton ADT de l’Eure – JF lange
Le sud de l’Eure marque la frontière entre la Normandie et le Royaume de France au Moyen Age. L’Eure médiévale a vu naitre de nombreuses forteresses le long de cette frontière anglo-normande. C’est méconnu mais pourtant super sympa à découvrir ! Le long de l’Avre, il y avait de nombreuses fortifications pour défendre le Duché de Normandie. Cela donne une spécificité particulière au sud de l’Eure comme frontière historique.
Carnet d’adresses d’AgriSkippy dans l’Eure :
Un endroit où manger ? Le grill saint-martin. C’est une cuisine qui est simple, authentique et conviviale.
Un producteur ? Je pense spontanément au foie gras de Laurent Callebaut à Verneuil d’Avre et d’Iton et à l’Escargot des marnières de Véronique Paysant à Tillières-sur-Avre.
Un produit du terroir ? Le Camembert. Qu’il soit AOP ou autre, il y en a un forcément fait pour chacun.